Par Simone Wapler
28 octobre 2022
Le ministre de l’Économie et des finances se fixe des objectifs d’inflation pour 2024, un domaine auquel il ne peut rien. En revanche, les finances publiques, qu’il est supposé contrôler, partent à la dérive.
Le
Figaro du mercredi 26 octobre titre
un article «
Objectif 2% d'inflation en 2024 : pourquoi Bruno Le Maire reste ferme ».
L’article cite de récents propos tenus à plusieurs occasions différentes du ministre de l’Économie et des finances sur ce sujet brûlant de l’inflation.
«À conditions constantes, notre objectif est de ramener l'inflation autour de 2% en 2024 »
«Sur l'inflation, je vous donne des objectifs – et ce ne sont que des objectifs pas des prévisions - nos objectifs seraient de ramener l'inflation à 5% au début de l'année 2023, puis 4% à la fin de 2023, puis 2% au cours de 2024 »
«je ne sais pas si nous les atteindrons […], il suffit que la crise dégénère en Ukraine pour que ces chiffres volent en éclats, il suffit qu'il y ait une crise majeure en Chine pour que ces chiffres volent en éclats, j'en ai conscience, donc je les donne avec beaucoup de prudence »
«Ce n'est pas simplement une difficulté économique, c'est une difficulté sociale, une difficulté politique, les gens se sentent pris à la gorge… Et c'est comme ça que démarrent les crises politiques ».
Pour une fois, le ministre du Quoi-qu’il-en-coûte fait preuve d’humilité. Mais ce n’est pas pour autant qu’il devient compétent.
Monsieur Le Maire a profité des largesses de la Banque centrale européenne pour distribuer de l’argent gratuit à tours de bras.
Monsieur Le Maire semble ignorer que toute inflation monétaire finit tôt ou tard par se payer en inflation des prix.
Cette ignorance ne serait pas préjudiciable s’il n’était que ministre de l’Agriculture[i]. Elle est plus ennuyeuse dans son job actuel.
La simple logique devrait pourtant lui suffire à combler son ignorance : si les banquiers centraux luttent contre l’inflation en relevant les taux, c’est bien qu’ils suscitent l’inflation en baissant les taux !
L’inflation est d’abord le résultat de la politique monétaire de la Banque centrale européenne. Et cette dernière ne montre aucune volonté sérieuse d’avoir une politique monétaire restrictive.
Monsieur Le Maire n’a donc aucune maîtrise de l’inflation, tant sur le plan théorique que sur le plan pratique puisqu’il ne décide pas de la politique monétaire. Ce n’est pas lui qui a choisi de fixer des taux directeurs nuls ou négatif. Ce n’est pas lui qui peut les relever.
Monsieur Le Maire pense donc qu’il peut se fixer des objectifs concernant un sujet dont il ne maîtrise rien.
En revanche, en tant que ministre des Finances, il pourrait fixer des objectifs budgétaires. Par exemple, la réduction des déficits en dépensant moins.
Autrement dit, l’inverse de la politique du Quoi-qu’il-en-coûte qu’il a prônée jusqu’à présent… Malheureusement le prochain budget ne va pas du tout dans ce sens. Et s’il se heurte aux oppositions de droite comme de gauche, ce n’est pas en raison des dépenses. C’est plutôt en raison du fait qu’il n’y en aurait pas assez (vu de la gauche) ou qu’elles ne sont pas distribuées aux bonnes personne (vu de la droite).
Malgré ces évidences, le journaliste du Figaro, ensorcelé par les belles paroles de Bruno Le Maire, commente :
« En s'engageant sur un objectif d'inflation de 2% en 2024, l'enjeu est non seulement le moral des Français malmenés par la flambée des prix, mais aussi le jugement des marchés financiers prêts à sanctionner la France sur les taux de sa dette publique au moindre écart. La Grande Bretagne en a fait l'amère expérience il y a deux semaines »
Il est cependant douteux que les marchés financiers jugent et investissent sur des annonces d’objectif. Les taux d’emprunt à 10 ans de notre pays ont dépassé les 3% les 20 et 21 octobre.
Quant au moral des Français, on peut douter qu’il dépende des « objectifs 2024 » de Monsieur Le Maire. La plupart des gens sont préoccupés par leurs fins de mois, leurs factures de supermarché, d’avoir du carburant pour pouvoir aller travailler et de ne pas le payer trop cher.
L’évolution à moyen terme de l’inflation
L’inflation des prix n’est que le résultat des politiques de création monétaire. Elle ne se résorbera que lorsque la monnaie en excédent aura disparu.
Pour cela, il y a trois possibilités :
· La croissance de la production de biens et services à quantité de monnaie constante. Autrement dit des politiques monétaires restrictives ET une forte croissance. Version conte de fées dont la probabilité est nulle.
· Destruction de la monnaie excédentaire par la destruction des mauvaises dettes, de l’argent investi dans des activités sans aucune rentabilité. Version noire que les gouvernements voudront éviter à tout prix car la plupart des dettes publiques appartiennent à la catégorie « mauvaises dettes improductives ».
· L’inflation, c’est-à-dire l’ajustement du pouvoir d’achat de la monnaie à la réalité de ce qui est produit. Version préférée des gouvernements qui pensent - à tort - pouvoir ajuster le niveau d’inflation à ce qui est tout juste supportable par les populations. Surtout si on leur promet de les « aider ».
Jusqu’à présent, peu importaient les désordres de nos finances publiques, les grèves, la faiblesse de l’activité économique ; les prêteurs estimaient que la dette de la France était « sans risque » et acceptaient par conséquent d’y souscrire contre un maigre rendement.
Cela pourrait-il changer ? La BCE pourrait-elle racheter indéfiniment toutes les dettes ?
On peut toujours spéculer sur la dette et la monnaie…
Mais pour avoir de l’énergie, il faut des dollars et pour avoir des dollars, il faut changer de plus en plus d’euros.
Il est donc plus probable qu’à l’avenir nous ayons à vivre avec une inflation des prix fluctuante autour d’un niveau élevé et que le phénomène ne se pliera pas aux objectifs de Bruno Le Maire. En gros, nous allons revivre la situation des années 1970 de chocs pétroliers avec de la dette en plus et du nucléaire en moins.
Comme disait Karl Otto Pohl, président de la Bundesbank dans les années 1980 : « l’inflation, c’est comme la pâte dentifrice, une fois qu’elle est sortie du tube, il est impossible de l’y faire rentrer ».
Tout le monde a appuyé très fort sur le tube depuis 2008.
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